"Spécialiste des comédies très dialoguées riches en chassés-croisés (de Laissons Lucie faire à Caprice), Emmanuel Mouret ne s’est éloigné qu’une fois de sa zone de confort pour Une autre vie, mélodrame social avec Joey Starr, Jasmine Trinca et Virginie Ledoyen. Ce neuvième long-métrage est le premier en costumes, et s’il rejoint les films précédents par son étude minutieuse des comportements amoureux, la contrainte des décors et des costumes aurait pu être un obstacle. Bien au contraire ! La reconstitution, loin du magasin des accessoires poussiéreux de certaines productions, est une véritable plongée au cœur de l’époque. Les couleurs des robes, la verdure des jardins du château, les bouquets de fleurs fraîches à l’intérieur sont autant de traces lumineuses d’une fin de siècle, par ailleurs en pleine évolution. Tout est brillant ici, des dialogues à la façon machiavélique dont Madame de la Pommeraye, comme une morte qui marche, mène tout son petit monde de la clarté à l’ombre. Les taches noires des robes et des intérieurs se faisant de plus en plus nombreuses, personnifiant ses sombres desseins, envahissant peu à peu le cadre.
Cécile de France et Edouard Baer, acteurs d’aujourd’hui dont on aime la gouaille, sont parfaits dans ces personnages auxquels ils confèrent aisance et modernité. Ils dominent un casting remarquable qu’il faudrait citer entièrement, de Laure Calamy à Alice Isaaz. Mademoiselle de Joncquières est l’histoire d’un amour d’abord refusé, puis offert tout entier, qui se met à grignoter le personnage du marquis, comme il avait grignoté Madame de la Pommeraye. Démarré comme du Marivaux pour finir comme du Choderlos de Laclos (La Marquise de Merteuil, elle aussi, est une femme puissante, amoureuse et blessée qui se venge), le film se déploie en plans-séquences fluides. Tout en mouvement. Entre tourbillon gracieux et spirale infernale."
Isabelle Danel